Marcher, papoter... le résumé
C'était donc... un mardi sous un beau soleil d'hiver, que les adhérents de NATURE, PASSIONS, partaient à l'assaut de la tour sarrasine de l'Ile d'Or !
Cela fait plus de 100 ans qu’elle aguiche le passant, randonneur du sentier des douaniers, touriste de tous pays, voyageur à pied, en vélo, en voiture, en train, en bateau et même en avion, suscitant émotions par sa beauté et interrogations quant au mystère de son existence. Son histoire est pourtant simple : une « Folie »du début du siècle, comme de nombreuses constructions farfelues sur la Côte d’Azur à cette époque, c’est tout ! Mais plantée au milieu de la baie, altière et sombre sur son rocher elle attire l’attention plus qu’une autre construction, ça c’est sûr ! On la retrouve sur toutes les photos qui vantent la beauté des lieux et pourtant avant sa construction l’île nue n’avait que peu d’atouts.
Son premier propriétaire privé, Léon Sergent, était architecte à Saint Raphaël, il fit l’acquisition de ces rochers rouges à quelques encablures de la côte en 1897, lors d’une vente aux enchères. La préfecture du Var mettait à la vente des terrains, îles et rochers du littoral appartenant au « Service de la Guerre », cette île faisait partie de la « Batterie du Grand Saint Raphaël » qui défendait la Baie d’Agay. Propriétaire d’une île rocailleuse peu confortable, Léon Sergent y amenait pourtant famille et amis pour de mémorables pique-nique et nuitées à la belle-étoile. Le site n’avait pas encore le charme d’aujourd’hui, la plage du Dramont était une aire de stockage pour les gravats et débris des carrières d’Estérellite voisines, le port du Poussaï n’était qu’une anse sablonneuse et les maisonnettes rudimentaires des carriers éparpillées sous les pins le long de la côte donnaient à ce bord de mer un aspect de « bout du monde ».
Son deuxième propriétaire, Auguste Lutaud, médecin de renom, adepte des vacances sur la Côte d’Azur et, amoureux des bords de mer de Saint Raphaël, en fit l’acquisition en 1909. C’est, semble-t-il, au cours d’une partie de cartes (Whist), dans une soirée mondaine que l’architecte perdant une somme importante au profit du médecin, lui proposa son île. Un acte notarié daté du 3 février 1909 atteste la vente de l’île d’Or au profit du Docteur Lutaud. C’est ce dernier qui y fit construire cette « Folie ». Dessinée par un architecte italien, bâtie par les carriers du Dramont, la tour carrée de huit mètres de côté et dix huit mètres de hauteur fut édifiée sur la partie haute de l’île préalablement dynamitée et aplanie. Les blocs de rhyolite extraits, retaillés servirent pour monter les murs épais de plus d’un mètre à la base, l’escalier reliant les quatre étages et les créneaux de la terrasse. Seul le ciment, les poutrelles en fer et le bois des planchers furent amenés sur l’île pour compléter la construction et faire de cette tour un habitat rudimentaire, mais l’ensemble avait belle allure.
Le 19 septembre 1910, l’inauguration de la Tour donna lieu à une grande fête «Belle Epoque », où bonne chère, boisson à flot, esprit aiguisé et fantaisie étaient de mise, d’ailleurs c’est au cours de ce banquet donné sur la plage du Poussaï que le docteur se fit couronner, à 64 ans, Roi de l’île d’Or sous le nom d’Auguste Premier. Pour l’occasion il fit frapper monnaie à son effigie et émettre des timbres poste sur lesquels figurent son royaume, chaque été l’anniversaire du royaume était fastueusement fêté. La guerre de 14-18 mit fin aux fêtes du roi Auguste premier, il retourna en Bourgogne où il transforma sa demeure en hôpital pour soigner les blessés. Décédé en 1925 à Macon, ses cendres furent transportées sur son île et conservées dans la roche, sous une plaque de marbre face au large à l’ombre de sa Tour. L’île va connaître alors une période d’abandon, pillée, vandalisée par les campeurs, sa Tour sert de cible d’entrainement pour les batteries allemandes, mitraillée et bombardée lors du débarquement, incendiée, il ne restait que les murs et l’escalier intérieur lorsque le petit fils du Docteur Lutaud mit le « royaume » en vente.
Son troisième propriétaire, François Bureau, Commandant de marine en retraite, en fit l’acquisition en 1962. En un an la Tour rénovée retrouva de sa superbe, deux citernes et un groupe électrogène en améliorèrent l’habitat. Des tonnes de terre amenées de la côte permirent l’installation d’un jardin méditerranéen, chemins et escaliers taillés dans la roche facilitèrent le cheminement sur l’île. François Bureau et sa nombreuse famille investissaient les lieux tous les étés sans exception depuis 1963, signalant leur présence par un étendard dressé entre les créneaux, habitué aux iles quasi désertes du Pacifique le marin semblait dire ainsi « je suis là qu’on ne me dérange pas ! ». Il aimait faire alors au petit matin le tour de son île à la nage, et, c’est au cours d’une de ces sorties que le 16 aout 1994, l’homme de 76 ans perdit la vie. Une plaque à sa mémoire tournée vers le large rappelle l’amour porté par François Bureau à son île. Jusqu’à ce jour enfants et petits enfants du Commandant Bureau reviennent chaque année sur l’île, prenant soin de ce patrimoine, bien conscients qu’il n’est pas donné à tout le monde de posséder une île, telle que celle-ci, joyau de notre ville, porte drapeau de notre tourisme et inspiratrice de bons nombres d’artistes.
Merci au Docteur Lutaud d’avoir conçu ce patrimoine, merci au Commandant Bureau et à ses descendants de nous le conserver…Et merci à Hergé de s’en être inspiré pour son « île noire".
Jeannine