Marcher, papoter : le résumé
Félix Martin ! Une seule rue et une salle de spectacle portent son nom à Saint Raphaël, et on oublierait presque de citer, tant elle est discrète, une petite stèle au bout de cette rue sur laquelle figure en médaillon le profil de l’homme, deux dates et l’inscription « créateur et maire de Saint Raphaël ». Créateur du Saint Raphaël actuel ! Initiateur de cette belle, coquette et plaisante station balnéaire que nous connaissons ! C’est lui qui l’a engendrée ? Mais alors, pourquoi tant de discrétion ?
Maire de la cité de 1878 à 1895, on vit la population doubler sous son mandat, le village de pécheurs se transformer en une petite ville aux allures haussmanniennes. On vit des voies de communication se développer, l’eau de la Siagnole revenir pour alimenter les fontaines et les foyers, l’installation d’une usine à gaz pour l’éclairage des rues, l’installation du télégraphe pour communiquer avec l’extérieur, on vit aussi pour assainir la ville apparaitre un réseau de canaux pour évacuer les eaux de pluie et un autre réseau pour les égouts, un abattoir pour parfaire l’hygiène alimentaire et même le transfert à la périphérie du cimetière. On vit enfin, bien sûr, bâtiments et villas pousser comme des champignons : l’église Notre Dame de la Victoire, l’Hospice-hôpital au quartier des Cazeaux, de Grands Hôtels, une poste monumentale en centre-ville, un établissement de bains de mer, un autre établissement médicalisé pour la pratique toute nouvelle de l’ozonothérapie, un casino, et bien d’autres initiatives encore…D’ailleurs à ce propos on cite beaucoup plus souvent son ami, l’architecte Pierre Aublé, nommé le « bâtisseur » de Saint Raphaël que ce maire d’une acuité intellectuelle aiguisée et d’une capacité de travail hors norme ayant œuvré pour sa ville pendant 17 ans, c’est un peu injuste non ?
Félix Martin & Pierre Aublé
Né à Pont de Vaux dans l’Ain le 19 janvier 1842, dans une famille bourgeoise peu fortunée aux idées libérales, Félix fit de brillantes études au Lycée Ampère de Lyon, où il rencontra Pierre Aublé. Intégrés tous deux à Polytechnique ils furent imprégnés durant leurs années d’études de cette frénésie haussmannienne qui régnait à Paris à cette époque-là : démolition de vieilles maisons, élargissement des voies, élévation et ornementation de bâtiments pourvus de larges et hautes fenêtres et spéculation immobilière. Félix Martin, sorti au septième rang de Polytechnique dans la section Travaux Publics, choisit Draguignan pour son premier stage d’ingénieur. A 23 ans, Il tomba littéralement amoureux du Sud, mais pas que !…Il s’y maria aussi, avec Berthe Meissonnier, une belle jeune fille fortunée habitant Ampus. C’est après quelques années à Paris où il s’occupa de l’installation d’un chemin de fer en Turquie, qu’il intégra la compagnie du PLM, compagnie de chemin de fer Paris Lyon Méditerranée, et donc revint dans le sud.
Travaillant dans les bureaux d’étude à Marseille, il installa sa petite famille à Fréjus, quartier de Saint Aygulf, ne se lassant pas de la beauté de ces lieux et de leur douceur de vivre c’est tout de même en ingénieur des travaux publics qu’il pensait déjà à faire évoluer ce site ! Il s’intéressa d’ailleurs de plus près à cette autre ville en face, en bordure de cette magnifique baie, ville où de nombreux artistes et hommes fortunés venaient rendre visite à un personnage célèbre installé là depuis quelques années, Alphonse Karr. Il devint un familier d’un grand nombre de ces célébrités qui vinrent ainsi compléter sa panoplie de connaissances déjà bien influente : les compagnons de promotion polytechniciens tous très haut placés, les bourgeois fortunés amis de sa belle-famille, et le monde de la science dans lequel son frère médecin évoluait. Durant ses longs trajets en chemin de fer qui le conduisait à son bureau marseillais il élaborait des projets pour transformer ce village de pécheurs devenu un lieu de villégiature pour quelques privilégiés en une station de balnéothérapie de renommée à laquelle il rêvait. Entré au conseil municipal en 1875 il devint tout naturellement maire en 1878 lors d’une élection partielle. Maire d’une si belle station en devenir, ingénieur aux compétences multiples du PLM, gestionnaire efficace de plusieurs sociétés immobilières et homme d’esprit apprécié de la haute bourgeoisie il se devait évidemment de construire une superbe et grande villa en centre-ville, la « villa des cistes », pour y installer sa femme ses quatre filles et recevoir dignement au cours de mémorables soirées tout ce beau monde qu’il côtoyait, tout allait vite, tout allait bien dans le meilleur des mondes grâce à lui !
C’est un projet de plus, ou un projet de trop qui le détruisit quelques années plus tard ! Un plan d’investissement pour le désenclavement des petites cités de l’intérieur du pays lancé par le ministre des travaux publics, Freyssinet, amena Félix Martin à s’allier à d’autres personnes pour constituer une compagnie ferroviaire locale ; parmi ses collaborateurs, le richissime Baron de Reinach, banquier de son état déjà engagé dans le projet du canal de Panama. En 1885 la « compagnie des chemins de fer du Sud de la France », présenta trois projets de ligne à voie métrique, Nice-Digne « ligne des Alpes », Nice-Meyrrargue ligne « central Var » et Fréjus-Toulon ligne « littoral var », les trois projets furent acceptés par l’Etat et les travaux commencèrent immédiatement. Félix Martin, ingénieur polytechnicien ne pouvait pas rester en dehors de ces grands projets dont il était un des instigateurs, il devint alors en 1887 directeur de cette compagnie ferroviaire abandonnant ainsi son travail au PLM. Il œuvra évidemment pour que le terminus du « littoral Var » » soit à Saint Raphaël juste à côté de la gare PLM et de sa demeure. Les trois « trains des pignes », comme on les dénommés alors, se mirent à circuler dès 1889. En ce qui concerne le « littoral Var » il fit certes la richesse de tous ceux qui avaient spéculé sur les terrains le long de la voie, mais il permit aussi et surtout le développement de toutes les petites communes de Sainte Maxime à Toulon y compris la belle station d’Hyères, et c’est un peu grâce à Félix Martin ça aussi !
Mais au début de l’année 1895 « patatrac » ! Le scandale de Panama mit à mal le principal actionnaire de la compagnie le Baron de Reinach, des malversations furent découvertes au sein des comptes de toutes les affaires du banquier, il se suicida alors laissant les autres sociétaires aux prises avec l’administration. Destitué de son mandat de maire et emprisonné en Janvier, Félix Martin fut blanchi au procès qui se déroula en septembre de cette même année. Mais c’est un homme ruiné et brisé qui reprit non pas la mairie de sa belle station balnéaire, qui le réclamait pourtant, mais son premier travail d’ingénieur. Il partit au Japon, puis en Roumanie pour travailler à l’asséchement de marais, il y contracta une mauvaise fièvre et c’est chez une de ses filles installée à Grasse qu’il rendit son dernier soupir le 1er mars 1899 dans l’anonymat qu’il avait souhaité. Voilà peut-être pourquoi il y a si peu de témoignage à son encontre dans notre belle ville, pourtant « fille » elle aussi de Félix Martin.